compositeur

Alfred Schnittke

24 novembre 1934 - Engels (Russie) — 3 août 1998 - Hambourg (Allemagne)

Biographie

Alfred Schnittke, de naissance Alfred Garrievitch Schnittke, est un musicien et compositeur russe du 20e siècle. Il naît le 24 novembre 1934 dans la ville d’Engels, dans la région de Saratov en actuelle Fédération de Russie. La ville est alors une république socialiste soviétique autonome conférée aux Allemands de la Volga, qui y sont installés depuis le 18e siècle. Alfred hérite d’une culture multiple et maîtrise le russe et l’allemand ; sa mère est germano-russe, son père letton et de confession juive.

Fort de sa double maîtrise linguistique, le père d’Alfred Schnittke, rédacteur, est engagé à Vienne où la famille s’installe dès 1946. Ce déménagement est fondateur pour le jeune homme qui découvre pour la première fois la musique viennoise et touche à ses premiers instruments : un accordéon, puis un piano. Le jeune novice s’initie au clavier auprès de sa voisine, Charlotta Ruber, qui lui enseigne en outre les bases du solfège et de l’écriture musicale. Il se montre captivé par la musique, tant par la pratique où il démontre une discipline rigoureuse, que par l’écoute et la découverte du répertoire de la première école de Vienne.

Deux ans plus tard, en 1948, la famille repart pour la Russie et s’installe à Moscou. Âgé de 14 ans, Alfred poursuit sa formation musicale en intégrant les classes de chant et de direction de chœur du Conservatoire de Moscou et en se formant à l’analyse et à l’écriture musicales auprès du musicologue Iossif Rijkine. Grâce à ses acquis, il compose sa première pièce de taille conséquente, un Concerto pour accordéon et orchestre. Dix ans plus tard, en 1954, Schnittke intègre les classes de composition et de contrepoint du compositeur russe Evgueni Goloubev, et celle d’instrumentation du violoniste et compositeur Nikolaï Rakov, au prestigieux Conservatoire Tchaïkovski de Moscou. Dans ce cadre, le musicien poursuit ses compositions principalement orchestrales : son Concerto pour violon n° 1, sa Symphonie « 0 » (1957) et son Concerto pour violon et orchestre en 1960 notamment. Il s’inspire également de ses voyages, comme au Kirghizstan, et de son vécu de la guerre, pour s’initier aux cantates et mélodies. En particulier, il compose la cantate Nagasaki, pour mezzo-soprano, chœur et orchestre, d’une durée d’environ 40 minutes, qui lui permet d’obtenir son diplôme de conservatoire en 1961. Il y fait preuve d’un style à la fois tonal et romantique, influencé par les compositeurs russes tels que Rachmaninov, et les prémices d’une appartenance à la musique moderne, avec des aspirations atonales empruntées notamment à Chostakovitch.

Sa carrière de compositeur s’établit ainsi peu à peu. Il rejoint ainsi dès l’obtention de son diplôme l’Union des compositeurs soviétiques. Le compositeur Philip Herschkowitz, ancien élève de Berg et Webern, l’épaule dans ses premières années. Il réalise ses premières musiques de film, qui lui servent de support expérimental pour ses pièces orchestrales, et sont dans l’ensemble bien reçues par le public : par exemple, pour Automne d’Andreï Smirnov en 1975, ou Les Aventures d’un dentiste d’Elem Klimov en 1965. Il complète ses découvertes empiriques par des savoirs plus théoriques et consacre une grande partie de son temps à l’étude de partitions et d’enregistrements, notamment de ses confrères russes tels que Prokofiev, Chostakovitch (qui demeure une source d’inspiration prédominante pour le musicien), la Seconde École de Vienne, mais aussi Ligeti, Bartók et Mahler. Il rédige des essais sur Stravinsky, qu’il rencontre, et fait publier ceux sur les compositeurs russes Prokofiev et Chostakovitch. Ces études fines font évoluer son style vers quelque chose de résolument moderne, et lui permettent en outre d’obtenir le poste de professeur d’instrumentation au Conservatoire, jusqu’en 1972.

En quittant ses fonctions cette année-là, Schnittke souhaite se consacrer exclusivement à la composition et à des ambitions internationales, freinées par l’ouverture culturelle restreinte de l’URSS et l’accueil toujours mitigé de son style moderne. Les commandes de musique de films abondent également, ralentissant son processus de composition. Cette décennie marque aussi un tournant dans l’évolution du style du musicien, d’une approche moderne à une post-moderne et s’appuyant sur le polystylisme. Le mélange riche des styles agit comme un procédé narratif et unificateur au sein de ses compositions ; sa pièce Pianissimo en est une première illustration, avec des gammes imbriquées se révélant dans l’unisson final, à l’instar de l’absurde kafkaïen dans la nouvelle Dans la colonie pénitentiaire (1914) ; il compose la musique du film d’animation L’Harmonica de verre (1968) en s’appuyant sur le principe de monogramme musicale, ici BACH, et repris dans quelques-unes de ses œuvres de la même époque, telle que la Sonate pour violon et piano n° 2. Ce foisonnement interne démontre la connaissance diversifiée des langages musicaux que maîtrise le compositeur ; la Symphonie n° 1 (1972) en est l’exemple le plus probant, composée telle un patchwork de langages. La même année, la mort de sa mère lui fait composer des œuvres d’apparence plus simples mais également plus sombres et métaphoriques.

Les commandes cette fois orchestrales se multiplient aux États-Unis et en Europe. Les tentatives de voyages hors-URSS du musicien sont pour la plupart arrêtées par les conditions politiques, ce qui l’empêche d’assister aux créations de ses propres œuvres à l’étranger. Les créations locales sont cependant facilitées, et plusieurs de ses œuvres sont jouées notamment au Festival d’automne de Moscou dès 1979. Le musicien enrichit ses sources d'inspiration par des approches presque ésotériques. Il se dit notamment hanté par le personnage d’Adrian Leverkühn, un musicien à l’expérience similaire à celle de Faust. Il en résulte un opéra, Historia von D. Johann Fausten (1991-1994), sur un livret de Jörg Morgener et Alfred Schnittke d’après le livre éponyme de Johann Spies, et dont se distingue notamment la Faust Cantata composée dès 1982, pour soliste, chœur et orchestre.

Entre 1985 et sa mort, le 3 août 1998, Schnittke est victime de plusieurs attaques cérébrales et alterne donc entre périodes d’hospitalisation, de convalescence et de composition. Il se rend pour la première fois aux États-Unis en 1988 où il assiste à la création américaine de sa Symphonie n° 1. Il s’installe deux ans plus tard à Hambourg où il compose de nombreuses œuvres dont beaucoup sont des commandes.

Un compositeur contraint par la politique

Alfred Schnittke est un compositeur émérite témoin de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide. La méconnaissance de son œuvre est en grande partie due au contexte géopolitique du 20e siècle. Sa découverte tardive du répertoire viennois, et plus largement occidental, témoigne de la faible ouverture culturelle de l’URSS.

Jusqu’à l’assouplissement et l’ouverture culturelle de l’URSS, peu avant sa chute en 1991, les œuvres du compositeur et de ses confrères sont peu jouées. Outre le style moderne avant-gardiste pour le public, ses œuvres revêtent un caractère politique jugé ambigu ou parfois mal interprété. La cantate composée pour son diplôme notamment est perçue comme une critique vis-à-vis du régime soviétique alors qu’elle se voulait anti-impérialiste à l’égard des Américains.

Son adhésion à l’Union des compositeurs soviétiques, créée par Staline en 1932, contraint le compositeur à la promiscuité entre ses idées et les intérêts politiques. Les œuvres sont chacune soumises aux votes des compositeurs membres afin de les faire jouer ou non. Schnittke s’abstient dans la décennie 1970 de voter, et ses ambitions internationales sont donc directement impactées puisqu’on lui refuse les visas et les voyages à l’étranger.

L’exportation de ses œuvres et ses premiers voyages sont permis entre autres par les musiciens qu’il fréquente : le chef d’orchestre russe Guennadi Rojdestvenski, défenseur du répertoire du musicien, créé notamment plusieurs des œuvres du compositeur, dont la Première Symphonie en 1966, et plusieurs lors du Festival d’automne de Moscou, ou encore la Symphonie n° 2 à Londres en 1980 avec l’orchestre de la BBC. Il peut accompagner le violoniste et chef letton Gidon Kremer lors de concerts et tournées à l’étranger. Il lui dédie par ailleurs son Concerto pour violon n° 4 en 1984 qui peut être joué localement. Mstislav Rostropovitch est également un musicien proche du compositeur et participe au rayonnement de son œuvre : lui sont dédiés la Sonate n° 2 pour violoncelle et piano (1978) et le Concerto pour violoncelle n° 2 (1992). Le violoncelliste joue également lors des funérailles du musicien.

De ses écrits, seuls ceux sur Chostakovitch et Prokofiev sont publiés localement, tandis que les essais portant sur des compositeurs étrangers ne seront publiés que plusieurs années plus tard en Allemagne.

L'œuvre d'Alfred Schnittke

Alfred Schnittke a composé près d’une centaine d’œuvres répertoriées, pour formations orchestrales, pièces lyriques, et pour films.

Son répertoire témoigne de l’évolution de son style et de ses sources d’inspiration toujours grandissantes. D’abord marqué par la première école de Vienne, notamment Mozart et Schubert, puis par les compositeurs russes tels que Rachmaninov pour ses premières œuvres chantées, il s’inspire beaucoup de Chostakovitch pour se forger un langage moderne, flirtant avec l’atonalité et le dodécaphonisme, évoluant enfin vers du post-modernisme polystylistique où se côtoient dans une forme de chaos métaphorique différents langages.

Parmi ses œuvres, on dénombre une douzaine de concertos principalement pour cordes, et six concerti « Grossi », pour effectifs plus conséquents. Le Concerto grosso n° 1 pour deux violons (1976), dont les éléments de tango reprennent ceux utilisés pour la musique du film L’Agonie d’Elem Klimov, témoigne de la richesse des langages employés par le compositeur et de sa réflexion plus philosophique sur la musique, mélange d’éléments baroques, de micro-tonalités ou encore d’inspirations populaires.

Schnittke compose dix symphonies entre 1956 et 1998, numérotées de 0 à 9, plusieurs œuvres orchestrales dont la musique pour le ballet Peer Gynt, épopée revisitée en 1986 dans une perspective contemporaine, et une vingtaine de pièces de musique de chambre, pour orgue et pour piano. Il s’est également intéressé à la voix avec quatre opéras, le plus notoire étant son approche faustienne et la cantate qui en est extraite, et des pièces pour chœur au thème plutôt funèbre. Enfin, le musicien russe a composé la musique d’une vingtaine de films, avec une collaboration particulière avec Elem Klimov.

Événements passés