Les Plus Grands Interprètes du XXe siècle

Pouvoir penser « j'y étais » lorsqu'on lit une biographie de la Callas, et la mention de l'une des ovations qui caractérisait chacune de ses apparitions... On en rêve tous. Il est des légendes du passé pour lesquelles on donnerait beaucoup : des artistes qui ont fait couler l'encre des critiques, les larmes de leurs publics, et fait éclater autour d'eux les plus fantastiques applaudissements. Puisqu'il faut hélas se contenter du souvenir de ces grands interprètes, voici réunies ici les plus belles archives disponibles sur medici.tv : des performances historiques sauvegardées à l'époque par des producteurs précautionneux, conscients de ce que l'événement qu'ils organisaient avait d'exceptionnel. Des visionnaires qui, dès les années 1950, ont compris la nécessité d'associer l'image au son des captations de concerts. Sélection.

Le jour où en 1995 lors d’un récital au Lincoln Center, Itzhak Perlman voit l’une de ses cordes casser sous ses doigts, il ne s’arrête pas de jouer et continue tranquillement son solo sur 3 cordes au lieu de quatre, sous l’œil médusé de son public. C’est peut-être là l’essence même des grands solistes : émouvoir, bien sûr, impressionner, souvent, surprendre, toujours ! Comment l’histoire du 20e siècle a-t-elle donné naissance à des artistes d’une telle résilience, d’un tel talent et d’une telle notoriété ? Découvrons cela ensemble !

Le rôle du soliste et son évolution jusqu’au 20e siècle

Loin d’être une évidence, le rôle du soliste tel que nous le connaissons s’est construit au fil du temps et au gré de l’évolution des styles. C’est à partir de la période baroque que l’idée de faire dialoguer un instrument principal avec un groupe de musiciens prend de l’ampleur avec la forme du concerto grosso, déjà utilisée par Corelli dans les années 1680. Antonio Vivaldi popularise le genre, en systématisant la mise en valeur du musicien principal, qui entame un véritable dialogue construit avec le reste de l’orchestre. Dès lors, le concerto pour violon devient un genre emblématique de cette époque, ses Quatre Saisons (1723) faisant office de modèle pour les compositeurs à venir.

Avec l’avènement de la période classique, le concerto grosso perd progressivement de son importance pour laisser place au concerto soliste, dont Mozart et Beethoven se font les spécialistes. Les compositeurs recherchent avant tout la clarté et l’équilibre entre la partie soliste et l’orchestre et s’appuient pour cela sur des conventions formelles mieux définies autour de mouvements, généralement organisés en trois sections : rapide (allegro), lent (adagio) et rapide (finale). Composés principalement pour des instruments tels que le piano, le violon ou le violoncelle, ces concertos sont caractérisés par une écriture mélodique fluide et une orchestration la plus légère possible, destinée à mettre en valeur l’instrument principal.

Le rôle du soliste se précise encore au 19e siècle. La période romantique voit l’apparition de la figure du pianiste-compositeur qui, comme Beethoven ou Liszt, crée des œuvres spécifiquement destinées à son instrument et à sa propre interprétation. Au-delà même du concerto, le récital devient un genre à part entière et favorise à la fois l’exaltation de l’individu en même temps que l’expression personnelle de l’artiste soliste sur scène. Le musicien se mue en un artiste complet, qui popularise non seulement son jeu, mais aussi sa personnalité devant un public venu assister à un véritable spectacle, et désireux de rencontrer une personnalité autant qu’un musicien extraordinaire.

Les compositeurs se plaisent à mettre en valeur ces nouveaux virtuoses. Chopin compose presque exclusivement pour le piano, prouvant sans conteste que l’instrument se suffit à lui-même. Certains compositeurs et interprètes comme Paganini au violon deviennent des figures musicales incontournables de leur temps, et se livrent à des joutes de virtuosité sans limites, plébiscitées par un public souvent stupéfait.

La révolution technologique du 20e siècle et l’avènement de la figure du soliste

Le 20e siècle marque une révolution dans l’essor de la figure du soliste, notamment grâce à l’avènement de l’enregistrement sonore. Les possibilités de diffusion se multiplient avec l’arrivée sur le marché du gramophone, puis du disque vinyle et de la radio. Ces nouveaux outils permettent aux artistes de faire entendre leur voix bien au-delà des salles de concert, dans les foyers et dans les lieux publics. Grâce à la radio, certains pianistes comme Vladimir Horowitz ou Arthur Rubinstein et de grands artistes américains notamment acquièrent une notoriété mondiale jamais atteinte jusqu’alors. Le violoncelliste Pablo Casals, en enregistrant les suites pour violoncelle seul de Bach dans les années 1930, non seulement redonne vie à ces œuvres oubliées à l’époque, mais confirme également son statut de pionnier. C’est à lui seul que l’on doit l’immense notoriété actuelle des Suites, considérées comme l’une des partitions les plus incontournables de l’histoire de la musique.

Les nouvelles techniques d’enregistrement permettent également de comparer les interprétations et d’affiner les préférences d’un public dont les goûts varient avec le temps. Les interprétations à fleur de peau de Jascha Heifetz, violoniste d’une précision légendaire, contrastent avec les élans chaleureux des propositions d’Isaac Stern ou les choix lyriques et passionnés de Yehudi Menuhin et nourrissent les fervents débats musicaux de l’époque.

Enfin, les enregistrements deviennent et demeurent des témoins intemporels de la démarche de l’interprète : Glenn Gould, célèbre pour ses interprétations atypiques des œuvres de Bach, se retire des concerts pour se consacrer exclusivement au studio, où il manipule chaque détail de son jeu. Le 20e siècle consacre ainsi l’enregistrement comme un outil essentiel pour façonner l’image et la légende des grands solistes.Haut du formulaire

Les grands solistes du 20e siècle

C’est dans ce contexte de popularisation culturelle de la figure du soliste que naissent certaines des personnalités musicales les plus médiatisées du 20e siècle.

Le rôle du chef d’orchestre en particulier se développe à partir des années 1900 pour parfois même prendre le pas sur la renommée de l’orchestre lui-même. Arturo Toscanini, au début du siècle, est l’un des premiers chefs à incarner cette figure mythique qui, au-delà du travail de coordination, se fait le guide ultime du travail de précision de l’ensemble, l’arbitre dans sa relation à la partition et le leader dans le rapport presque théâtralisé qu’il instaure avec le public. Après lui, les noms de Charles Munch, Günter Wand, Erich Leinsdorf puis le très célèbre Herbert Von Karajan laissent une trace indélébile, associée à un style reconnaissable dans l’histoire récente de la direction d’orchestre.

Pour ce qui est du chant lyrique, les femmes rencontrent une célébrité parfois plus grande encore, à l’image de Maria Callas, soprano légendaire, dont la voix particulièrement agile permet à elle-seule de redéfinir l’art du bel canto en lui donnant une intensité dramatique inégalée.

Certains instruments mélodiques se prêtent également particulièrement à l’art du solo. C’est le cas du piano, du violon mais également du violoncelle, dont les répertoires ont été magnifiés par une grande diversité de propositions musicales. Citons par exemple Vladimir Horowitz au piano, devenu un mythe de son vivant. Dès les années 1930, il fait preuve au piano d’une virtuosité remarquable dans le répertoire romantique. En 1965, après 12 ans d’absence des scènes internationales, il fait son grand retour à Carnegie Hall. Les billets se vendent en quelques heures et le public l’ovationne avant-même la fin de son interprétation de la Polonaise de Chopin. Dans un autre style, Martha Argerich déploie dès les années 1960 une aisance et un naturel désarmant dans tous les genres, au point de changer spontanément de programme avant un concert avec orchestre ! Ce fut notamment le cas en 1977 avec le London Symphony Orchestra, qui dut improviser un concert sur le Concerto n° 3 de Prokofiev au lieu du Concerto pour piano n° 1 de Tchaïkovski initialement prévu. Au-delà de leur génie musical, on retient évidemment de ces solistes un engagement total pour leur art et la société, à l’image d’un Rostropovitch jouant devant les restes du mur de Berlin en 1989, ou d’un Daniel Barenboim réunissant des musiciens israéliens et arabes dans son West-Eastern Divan Orchestra pour promouvoir la paix et la compréhension mutuelle à travers la musique.