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Programme
Bloqués derrière le rideau de fer, Mravinsky, Richter et Gilels étaient des mythes : à juste titre.
« La passion russe mise sous clé » : on ne peut mieux définir le grand chef d'orchestre russe Evgeny Mravinsky que par cette formule de Yehudi Menuhin à son propos. « Il ne disait jamais "bonjour mesdames et messieurs", témoigne un violoniste de son orchestre. A son arrivée, un silence écrasant s'installait qu'il rompait au bout de trois à quatre minutes par "quatre mesures avant la mesure soixante-quatre"…C'était tout. »
Autocrate vénéré et craint par son orchestre, le Philharmonique de Saint-Petersbourg qu'il dirigera cinquante ans depuis 1931 jusqu'à sa mort en 1988, Mravinsky en obtient, à force de travail, une extraordinaire perfection. « Avant un concert, il nous faisait répéter plusieurs fois la "Cinquième symphonie" de Tchaïkovski, alors qu'on la connaissait par cœur, témoigne le violoniste. Mais c'était très prenant, nous étions au cœur du processus de création ».
En revanche Mravinsky n'aime guère enregistrer et cessera même dès 1961 de fréquenter les studios. Il a pourtant laissé pas moins de cinq versions de l'ouverture d'Obéron de Weber, une œuvre avec laquelle il se sentait en parfaite harmonie et dont il grave la dernière ici en avril 1978. Autre œuvre fétiche, Francesca da Rimini, le poème symphonique de Tchaïkovski : c'est en la dirigeant que Mravinsky remporte en 1938 à Moscou le concours de direction de l'URSS devant Kyrill Kondrachine. En 1983, il renouvelle une fois de plus l'exploit en arrachant l'adhésion du public par cet extraordinaire mélange de passion contenue et de noblesse altière.
Des titans.
C'est le premier mot qui vient à l'esprit quand on pense aux pianistes Sviatoslav Richter et Emil Gilels. Pas seulement pour leur aspect physique imposant (Richter faisait peur au chef d'orchestre Rozhdestvensky) mais aussi pour leur façon d'empoigner le clavier. Est-ce parce qu'ils ont eu le même professeur au Conservatoire de Moscou, le célèbre Heinrich Neuhaus?
Lorsqu'on évoque le répertoire de Richter, le nom de Mendelssohn ne vient pas immédiatement à l'esprit. Pourtant, il livre en 1966 à Moscou des "Variations sérieuses" une interprétation tout à la fois forte et délicate. King Kong tenant Jane dans sa main.
Le nom de Prokofiev, lui, vient tout de suite à l'esprit quand il s'agit d'Emil Gilels. Ils sont devenus amis à Odessa, où est né le pianiste en 1916, et le compositeur lui confiera la création de sa "Huitième Sonate" en 1944. Mais la "Troisième sonate", qu'il joue dans les studios de la BBC en 1959, appartient aussi à son répertoire. Gilels n'en laissera pourtant que deux témoignages discographiques à 20 ans d'intervalle, ainsi que cette version d'autant plus précieuse que ses apparitions à la télévision sont rares. Sur cette œuvre ramassée en seul mouvement, il déchaîne toute sa puissance, avec un sens infaillible du rythme.