Casting
Scott Ross
Nicolau de Figueiredo
Alessandro de Marchi
Olivier Bernager
François Manceaux
Programme
Scott Ross dans une master class inédite, tournée à Rome peu avant sa mort en 1989.
Olivier Bernager, à propos de cette master class avec Scott Ross :
« Cette leçon de musique a une histoire pénible. Il m'a été reproché par le milieu des « baroqueux » d'avoir exploité la maladie de Scott Ross, pour lui soutirer un film. Lui qui était si caustique quand il s'agissait de l'image, si scrupuleux, si suspicieux à l'égard des médias, n'aurait jamais accepté… C'était sans compter sur une complicité artistique entre nous qui datait de son intégrale Rameau (1975) pour I'inventive maison de disques Stil.
« Pour convaincre un homme fatigué et anxieux, dans les questionnements tragiques de tous ceux qui se savent atteints du sida, maladie encore honteuse en 1989, il aura fallu l'insistance d'amis en qui il avait confiance : David Ley, ami intime, facteur de clavecins, qui lui réglera ses instruments pendant le tournage ; Monique Devaux, Directrice de l'auditorium du Louvre, sans qui ce film n'aurait peut-être jamais vu le jour, qui l'a materné et accompagné jusqu'à l'avion qui le transporta jusqu'à Rome. Je ne les oublierai jamais. Contrairement à beaucoup de solistes dans le feu de leur carrière, Scott Ross a consacré du temps à l'enseignement dans sa classe à l'Université Laval de Québec (1973-1986). On sent lors de ces leçons son habitude à repérer le détail qui fait défaut et à l'expliquer en termes simples, sans oublier de le mettre en perspective. Mais il aime aussi s'exprimer avec le souci de surprendre, voire de choquer son interlocuteur. Scott Ross est un mélange de profondeur et de provocation. Ses jugements à l'emporte-pièce sur Gould ou sur Landowska sont profonds. Ils sont là pour faire réfléchir, et non pas par goût du bon mot. « Landowska ne jouait pas du clavecin ! » Et s'il avait raison ? « Gould ne comprenait pas Bach », parce qu'il ne connaissait pas le clavecin : là, c'est de la mauvaise foi ! Mais en y réfléchissant à deux fois… Ceux qui ont été proches de Scott Ross savent qu'il connaissait parfaitement les grands interprètes du clavier, et non seulement du clavecin ! Schnabel, qu'il aimait beaucoup dans Schubert, Horowitz qu'il trouvait fascinant... Landowska, qu'il imitait à merveille ! S'il avait vécu, il aurait joué Schubert sur pianoforte, c'est ce qu'il m'avouait pendant les périodes d'attente entre deux prises de vues.
« C'était un temps où tous les excès se conjuguaient. Le monde de la musique baroque avait déjà ses institutions, à Bruges, Gand, Paris, Québec, Cologne, Londres, Bâle. Les éditeurs découvraient de nouvelles partitions, les interprètes des manières inusitées de les jouer. Les facteurs commençaient à copier clavecins, clavicordes et bientôt pianoforte, les luthiers étudiaient les tracés anciens des violes, les chanteurs dédaignaient le vibrato... et les mélomanes relayés par quelques journalistes et écrivains, discutaient âprement des mérites de cette mise en question, bien salutaire en une période où, à l'autre extrémité, du côté du moderne qui se disait « contemporain », on se battait pour savoir si porter des bretelles en acier trempé (le sérialisme), valait mieux qu'une ceinture en cuir de crocodile (la tonalité). Cela valait bien la querelle sur le diapason à 415 !
« Dans le contexte de ce film, la figure de Scott Ross paraît bien sage. Il est malade et veut absolument laisser une image construite et équilibrée. Tout le monde se souvient comment il a défrayé la chronique, ange puis démon par ses tenues vestimentaires, tour à tour baba-cool puis cuir, et ses propos apparemment sans nuances… Ce film montre un musicien en pull et bonnet noirs. Dans cette tenue austère, il nous rappelle son exigence intellectuelle et exprime la poésie de son jeu dont il livre ici quelques-uns des secrets à travers des mots simples. À son élève Nicolau de Figueiredo : « Tu vois comme je fais du raffut en traînant les notes, pour expliquer la Fugue en ré mineur BWV 903 de Jean-Sébastien Bach. Il est effarant de constater sa liberté par rapport aux exigences d'interprétation (authentiques) des années 1980 qui noyèrent la musique par leur intransigeance. Il relativise tout, vingt ans après on s'aperçoit qu'il avait raison, qu'il prophétisait cette souplesse dans l'approche, dans le jeu et dans la respiration qu'incarnent si bien des artistes comme Andreas Staier ou René Jacobs aujourd'hui. Mélange de rigueur dans la conception et de liberté dans l'interprétation : tel fut Scott Ross. Et tel il apparaît à travers les belles images de Jacques Renard, dans cette Rome dont il aimait respirer l'air et caresser les chats. »
Olivier Bernager
À propos de Scott Ross
Scott Ross (né à Pittsburgh, USA, le 1er mars 1951, mort à Assas, France, le 13 juin 1989) débute son apprentissage du piano à l'âge de six ans. Quelques années après la disparition de son père, sa mère décide d'aller vivre en France ; la famille fait le voyage en 1964. Scott étudie I'orgue avec Michel Saorgin et le clavecin avec Huguette Grémy-Chauliac au Conservatoire de Nice, où il obtient les Premiers Prix en 1968, puis se perfectionne entre 1969 et 1971 au Conservatoire de Paris auprès de Robert Weyron-Lacroix et Laurence Boulay ; il découvre alors I'atelier de restauration du Musée du Conservatoire qui lui permettra de cultiver sa maitrise du clavecin et de lier une technique déja irréprochable à un savoir musicologique et organologique très approfondi. 1971 est une année phare dans son parcours: il remporte le prestigieux Concours de Bruges, suit l'enseignement de Kenneth Gilbert au Conservatoire Royal d'Anvers et enregistre son premier disque, Monsieur Bach (Stil). De 1973 à 1986, il occupe un poste de professeur à l'École de Musique de l'Université Laval à Québec. Il revient par intermittence en France à partir de 1983, et s'installe définitivement à Assas (Hérault) en 1985. Foudroyé par le sida quatre ans plus tard, Scott Ross se sera consacré au disque et au concert jusqu'à sa mort. Parmi ses nombreux enregistrements, on compte notamment les intégrales de la musique pour clavecin de Rameau (1975) et de François Couperin (1978), ainsi que sa monumentale intégrale des 555 sonates de Domenico Scarlatti, enregistrée de juin 1984 à septembre 1985 pour le label Erato.
Les Leçons particulières de musique : douze émissions qui ont marqué la télévision française entre 1987 et 1991. Pour Oliver Bernager et François Manceaux, il s'agissait de saisir le vif de l'art des interprètes les plus importants de notre temps en situation de concert et surtout, d'enseignement.
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